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Jusqu'à la fin de l'année, nous allons suivre huit élèves

d'une terminale S du lycée Kastler à Denain.

Rencontres et premières confidences.

La terminale, c’est l’année du changement. Celle du permis, de l’orientation, de la majorité, des sorties, du bac. Celle où l’on se pose des questions qui engagent notre avenir. Une année déterminante alors que la période compliquée de l’adolescence est loin d’être finie. Une année que nous allons raconter avec

la parole de huit lycéens de Denain, tous issus de la même terminale S. Un reportage « de l’intérieur » dans une ville que nous avons choisie parce qu’elle reste mal connue et véhicule encore de nombreux clichés liés à la misère sociale. Lycée de taille moyenne (1000 élèves, entre général et professionnel), Kastler nous a semblé intéressant par son dynamisme et ses bons résultats annuels. Contacté en août, le proviseur, Geoffroy Fontaine, a tout de suite été séduit par le projet et nous a proposé de rencontrer une classe qui réunissait des profils très variés. Cette fameuse terminale S. Face aux visages un peu médusés de 26 élèves, nous avons donc, la semaine de la rentrée, détaillé notre projet. Neuf volontaires se sont désignés, l’un a abandonné en cours de route. Entre sortie de cours et bus à prendre, nous avons écouté les huit autres. Ces « adultes en construction » comme ils disent se sont révélés passionnants, sensibles, réfléchis. Nous allons les retrouver une fois par mois, jusqu’à la fin de l’année.

Pas vraiment bavard mais sincère lorsqu’il parle, calme, gentil, Kevin est, lui aussi, concentré sur ses études. «Cette année, on doit travailler énormément. J’ai même dû arrêter le foot parce que ça me prenait six heures par semaine.» Plus tard, Kevin aimerait être chercheur en médecine, créer des médicaments: «J’aime bien faire des recherches avec un microscope.» Il n’envisage pas pour autant de quitter ses parents l’an prochain: «Emeline m’a dit que la première année de médecine, on travaille beaucoup à la maison, je vais sûrement pouvoir rester.» Emeline : un prénom qu’il cite toutes les quatre phrases: «Ah ? Ça se voit qu’on est ensemble ? » 

"Cette année, on doit travailler  énormément. J'ai même dû  arrêter le  foot parce que ça  me  prenait six heures  par  semaine."

Kevin, 17 ans.

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Esprit vif et carrure de sportif, Alexandre cache sa timidité derrière des vannes incessantes : « C’est pas toujours évident de parler en groupe. » Spontanément, il évoque son redoublement: « J’ai foiré... C’est dur. J’étais avec les mêmes copains depuis la maternelle. » Et puis, les autres élèves de sa classe se connaissent et surtout s’entendent très bien : « Mais on commence à se parler, ça va. » Plus tard, cet ado énergique veut faire prof de sports : « Staps à Valenciennes, je suis là pour dire d’avoir un bac mais j’aurais tout aussi bien pu partir en bac pro. Ce sont mes parents qui ont voulu que j’aille en général. » D’une autodérision désarmante: «Je sais que je suis immature, j’y peux rien ! », il aime être avec ses copains, écouter de l’électro avec des grosses basses, faire du judo : « Je passe ma ceinture marron. Après, ce sera la noire. » L’avenir l’inquiète : « On sent que ça va être dur, c’est sûr », tout comme l’insécurité : « Il y a beaucoup de tensions à Denain. Dans mon village, à Abscon, c’est différent, il y a plus de vaches que de gens, ça se passe très bien ! » 

Alexandre, 18 ans.

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Maxime est un garçon discret. On ne l’entend pas beaucoup et, pourtant, il sait exactement où il va:

« L’an dernier, j’ai été pris en prépa physique-chimie au lycée Baggio à Lille. Je veux faire ingénieur dans l’aéronautique, j’aime bien les avions. Mais voilà, j’ai foiré mon bac. Heureusement, j’ai envoyé un mail à la prépa qui m’a dit qu’elle m’acceptait d’office l’an prochain.» Oui, la rentrée, le lycée, tout se passe bien: «C’est plutôt familial ici.» Côté loisirs, Maxime a une grande passion:l’équipe de foot de Valenciennes: « Je ne rate pas un match ! » 

Maxime, 17 ans.

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Maxime, 17 ans.

Jade, 16 ans.

Masse de boucles brunes et maintien de sportive, Jade est « la meilleure élève de la classe, du collège, de la ville », selon le groupe: « Elle a 18-19 en tout. C’est un cas ! » Disponible, souriante, la jeune fille aimerait devenir avocate après être passée par Sciences-Po: « Ma cousine qui est journaliste m’a conseillé de passer par là. Apparemment, c’est mieux que la fac. Je veux être avocate car j’aime que la justice soit respectée.» Pendant son temps libre, Jade fait de la danse à haut niveau : « Il ne faut pas exagérer, il n’y a pas vraiment de niveau, j’ai juste fait des compétitions nationales.» Oui, la rentrée s’est bien passée et non le fait qu’elles ne soient que trois filles dans la classe ne lui pèse pas: « Il y a juste que les deux autres sont en couple avec des garçons de la classe et que je suis seule. Du coup, on m’embête un peu plus mais il n’y a rien de méchant ! » La jeune fille sort peu et préfère les boutiques de Valenciennes à celles de Denain. Elle part prendre son bus avec un « Je vous laisse, je veux pas rater Secret Story ! » Suivi par des huées amicales : « Oh non pas toi, tu peux pas regarder ça ! »  

« Ma cousine qui est  journaliste m’a conseillé de  passer par Sciences-Po. Apparemment, c’est mieux que la fac. Je veux être avocate car j’aime  que la justice soit respectée. »

Longs cheveux blonds, visage délicat avec des yeux bleus qui vous regardent bien en face, Emeline a 15 ans. Oui, elle a sauté deux classes mais ne se sent « pas différente des autres ». Elle veut être « chercheuse dans les maladies », joue du piano tous les jours et écoute toutes sortes de musiques, classique compris: « J’adore Chopin. » Un vrai bijou de jeune fille sincère et réfléchie, bien en place, naturelle, pour qui la terminale n’est « pas forcément facile »: « Il faut une grosse organisation, on a énormément d’heures de cours. » Les réseaux sociaux ne l’occupent pas beaucoup: « Oui, on est sur Facebook mais je poste pas des trucs toutes les 5 minutes ! » Ses sorties se résument à faire venir ses copains de classe à la maison :

« On n’a pas forcément besoin d’alcool pour s’amuser, il suffit qu’on soit ensemble ! » Avec Kevin surtout avec qui elle sort depuis quatre mois. Ces deux-là sont inséparables. D’ailleurs si on veut joindre l’un, on nous conseille d’appeler l’autre. Sinon, la rentrée s’est bien passée: « Enfin, je n’étais pas dans la bonne classe mais j’ai pu changer donc tout va bien ! » 

Enzo, c’est un gamin aux yeux rêveurs et aux réponses percutantes. C’est le seul interne du groupe aussi. Un choix : « Quand on a déménagé à Lallaing, j’ai voulu rester avec mes copains. J’ai bien aimé la première année. » Moins celle-ci : le règlement s’est durci avec les portables que l’on doit rendre avant 22 h 30 : « Je m’étais installé dans une routine que j’aimais bien...» Bonne surprise de la rentrée : il a finalement pu retrouver sa classe de 1re :

« On m’avait mis ailleurs...C’était exceptionnel l’an dernier. Par exemple, on était quinze à aller au kebab pour mon anniversaire ! » Joueur de guitare, cet ado à la répartie facile ne sait toujours pas ce qu’il veut faire après. « Pfff... Médecin, ingénieur ? » En tout cas, il estime que l’avenir sera compliqué : « La dernière fois, j’ai vu, la même journée, une Rom mendier, une jeune ado avec son bébé et une fille qui s’est inscrite à la fac juste pour avoir la bourse, elle n’y allait même pas! C’est dur...» Après un énième sourire désarmant, il part rejoindre les deux autres élèves qui partagent sa chambre: « Le repas à la cantine, c’est à 18 h 45. Pire que la maison de retraite ! » 

Emeline, 15 ans.

Enzo, 16 ans.

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« Le repas à la cantine, c’est à 18 h 45. Pire que la maison de retraite ! » 

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Visage fin, cheveux blonds, François dégage une grande sensibilité. D’entrée, il indique : « Je n’aime pas du tout les maths, je préfère la lecture ! Je suis en scientifique parce que ma mère m’a conseillé de prendre une section générale. Vu qu’à l’époque je ne savais pas trop quoi faire, elle a eu raison. » Pas de passion pour les sciences donc mais pour la création de jardins: « Je crois que j’aimerais faire ça, paysagiste. » À la fin des vacances, François attendait la rentrée avec impatience: « J’avais terminé mon jardin, je voulais revoir mes copains. » Sinon, il confirme que l’ambiance dans le lycée est bonne: « Il n’y a pas d’agressivité, c’est plutôt familial et dans notre classe, on s’entend bien. Dans Denain, par contre, ça peut être tendu. On voit des choses pas toujours terribles même si je pense qu’il y a aussi trop de clichés sur cette ville. » Alors que son père entame une formation suite à un licenciement, François estime que l’avenir sera difficile : « Il va falloir beaucoup, beaucoup travailler. » Déjà, son emploi du temps est très chargé :

« Certains soirs, je me couche à 21 h 30 tellement je suis fatigué ! » 

Traits fins et posture droite, Charles a une présence discrète au discours affirmé: « Moi je veux être ingénieur robotique, comme mon oncle. J’aimerais entrer à l’ENSIAME, à Valenciennes. » Lui aussi trouve que, cette année, l’emploi du temps est très chargé. En terminale SI, il cumule 37 heures de cours par semaine et doit se lever à 6 h pour aller en cours. « C’est pour ça que je me force à faire du sport, il faut que je me change les idées. Je fais de la musculation tous les jours. » Amateur de toutes les musiques « sauf le hardcore », Charles a lui aussi l’impression qu’il va falloir se battre pour son avenir: « Ça va être dur, il va falloir beaucoup donner et il n’y a rien de rassurant. » Sinon, il se sent bien dans son lycée, moins dans la ville :

« Dans les transports en commun, ça m’est déjà arrivé, lorsque j’étais avec ma copine, que l’on se rapproche du chauffeur parce que c’était tendu. Ici, on ne voit pas toujours le meilleur. » 

« Il va falloir beaucoup,  beaucoup travailler. Certains  soirs, je me couche à 21 h 30  tellement je suis fatigué ! »

François, 17 ans.

Charles, 17 ans.

TEXTES

Sophie FILIPPI-PAOLI


PHOTOGRAPHIES

Didier CRASNAULT


MISE EN PAGE

Quentin DESRUMAUX


REDACTION EN CHEF

Jean-Michel BRETONNIER

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